Philippe BOEGLIN Ostéopathe DO, praticien expert en médecine traditionnelle chinoise, professeur à l’Académie Nationale de Médecine Traditionnelle Chinoise de Pékin et vice-président de l’Académie Européenne de la Culture Traditionnelle Chinoise.
Il met l’accent sur l’utilisation fondamentale de la pharmacopée dans la prise en charge des troubles émotionnels ainsi que l’utilisation de cette dernière comme carburant de vie.
Pour vous, qu’est-ce que la Médecine Traditionnelle Chinoise ?
Dans ma pratique quotidienne la MTC me permet de considérer l’Être Humain comme un tout… dans un tout.
Le corps prend en charge en permanence les déséquilibres qu’engendre notre évolution dans l’univers qui nous entoure ; pour cela il a besoin d’énergie fonctionnelle (Yang) et d’énergie structurelle (Yin).
La MTC a intégré cela depuis des millénaires et s’est attachée à identifier, étudier et transmettre cet incroyable champ de connaissances que je considère comme l’un des plus grands patrimoines immatériels de l’Humanité.
Toutes ces découvertes se sont réalisées en observant la Terre (nature) l’Homme et le Ciel… dans l’instant présent. Force a été de constater que tout se jouait dans l’instant présent mais que tout évoluait toujours. Cette impermanence se conjugue avec « l’holisticité » (concept holistique : tout est toujours lié, forme un tout).
Santé et énergie semblent intimement liées. Toutes les stratégies de santé taoïstes visent la promotion, l’entretien et l’utilisation du Qi à bon escient.
La MTC s’attache à établir un bilan énergétique du moment, qui évolue favorablement ou défavorablement… de battement de cœur en battement de cœur.
Nous sommes en permanence influencés par le cycle circadien, les saisons, les Yun Qi, le Feng Shui, le Ba Zi… mais aussi par notre environnement climatique, nos conditions de vie, nos actes et surtout par notre façon de penser.
Les Anciens considéraient que la santé nécessite 3 choses :
respecter le corps et ses besoins
discipliner l’Esprit
faire confiance à l’âme.
Là, intervient notre liberté de penser !
Cette pensée qui n’est pas tant libre en fait, car liée à nos émotions. En MTC, ces émotions ne sont que des manifestations somato-psychiques dépendant des « pleins » et des « vides » de nos éléments énergétiques.
Je considère que la pharmacopée est absolument incontournable dans la prise en charge des émotions.
En ce sens, je suis tenté de considérer la pharmacopée comme un carburant de Vie.
De meme, utiliser la pharmacopée pour « nourrir » les éléments identifiés par le bazi (éléments fondamentaux et pivot) constitue une intéressante stratégie de santé durable.
Dans quelle mesure la pharmacopée peut être considérée comme un carburant ?
De par la qualité et la quantité de principes actifs ainsi que par la rythmique des prises ; la pharmacopée va permettre au corps d’obtenir de quoi restaurer son intégrité.
Elle peut contrer un terrain, libérer des stagnations et remplir des vides. L’alimentation est un besoin fondamental de l’existence.
Elle est toujours adaptée au lieu de vie et au climat. Au-delà de nourrir l’existence, les Anciens ont étudié les caractéristiques énergétiques et le tropisme énergétique.
Un aliment permet donc, grâce à la digestion, de compenser une faiblesse, de s’alimenter de façon adaptée à un environnement extérieur, à une tâche à exécuter, à une saison, etc.
En pharmacopée la sélection de racines, fleurs, fruits, feuilles, tiges, bourgeons etc., représente une plus grande concentration d’énergie disponible.
C’est ce qui a permis de déterminer la pharmacopée telle qu’elle est aujourd’hui et qui constitue un puissant arsenal de gestion du bilan énergétique.
Au-delà de la simple nature physique des éléments dans la pensée occidentale (vitamines, oligo-éléments, acides aminés…) qui sont nécessaires pour être en bonne santé, certains remèdes en MTC présentent dans leurs caractéristiques énergétiques une certaine aptitude à être carburants de vie.
En prenant en compte le bilan énergétique, en lui donnant une dimension spatio-temporelle et en l’inscrivant dans une direction, à la manière des médecins impériaux j’utilise la pharmacopée de manière physique, énergétique et philosophique.
Ainsi pour moi, certains remèdes apparaissent comme des carburants de Vie.
Bien sur, la posologie et la rythmique des prises diffèrent de celle de la prise en charge classique du bilan énergétique.
Quelques exemples :
Guipi Tang : Qui-suis-je ? Quelle est ma place ?
TWBX : Le sens de la Vie, l’Homme debout
LWDH : nourrir le calme en nous
HXHY : libérer la capacité à évoluer
Ninxing femme : la femme solaire
Etc…
Il est donc possible de réussir le présent en prenant en compte divers paramètres : les 3 arts métaphysiques (Ba zi, Yi Jing, Feng Shui) le bilan énergétique, les Yun Qi, et ce que j’appellerai le « chuchotement de l’âme » : Il s’agit de nos symptômes qu’il faut décoder et remettre dans leur contexte.
Toute action nécessite une force, et donc un carburant.
Pour donner cette dimension philosophique aux remèdes, j’ai dû considérer les symptômes comme des alliés et leur décodage comme un message de l’âme qui de chuchotements au départ, s’exprimeraient de plus en plus fortement.
Dans cet esprit, le symptôme donne un sens au bilan énergétique ; sa localisation, ses caractéristiques et le moment de sa manifestation sont révélateurs.
L’art thérapeutique pourrait se traduire par considérer le symptôme comme un allié et œuvrer sur le terrain jusqu’à ce que le Tao se restaure.
Ce Tao se traduirait par réussir le présent et évoluer en harmonie… plus facile à dire qu’à faire !
Qu’entendez-vous par réussir le présent ?
L’instant présent, c’est le moment où nous vivons. C’est dans le présent que nous vivons le moment le plus important de notre vie car nous sommes vivants ici et maintenant. « Il y a une heure » n’existe plus « dans une heure » n’existe pas encore.
L’instant présent me tient particulièrement à cœur, car j’estime que c’est dans le présent que nous avons la possibilité de modifier les effets du passé et de libérer le futur.
Je fais une différence entre l’Existence et la Vie ; l’existence est l’application automatique de conditionnements issus de la culture, de l’éducation, de modi opérandi, d’us et coutumes… et qui laissent peu de place à la spontanéité et à la nouveauté.
Nous fonctionnons comme des robots plus ou moins prévisibles. C’est rassurant et économique en énergie, mais cela n’est que peu pourvoyeur d’évolutions individuelles, rarement de plaisir, souvent d’insatisfactions et quelques fois de souffrances…
A l’inverse, vivre une vie implique une multitude de naissances au stade suivant en acceptant de laisser mourir l’état précédent.
Vivre revient à évoluer, accepter les forces en présence, pour répondre à nos besoins dans la perspective de prendre du plaisir (avec les 5 sens) et d’éviter de souffrir. Là, est le terrain de jeu de notre libre arbitre, de notre liberté de penser.
La santé nécessite un juste équilibre entre Existence et Vie.
L’existence permet la longévité…la vie permet le plaisir… les deux permettent le bonheur. Comme je le dis souvent à mes patients « le bonheur c’est LA bonne heure, c’est celle de maintenant. Il faut la réussir ».
Réussir le présent consiste à mobiliser ses cinq sens pour percevoir les caractéristiques de l’univers qui nous entoure… tout en disciplinant son esprit pour qu’il synthétise ses informations et les transforme en émotions et en souvenirs.
Ainsi, consacrer nos battements de cœur à réussir le présent nous permet d’être ici et maintenant, d’évoluer et d’écrire notre légende…
Les symptômes sont des amis, le Bazi un potentiel et la MTC nous offre les moyens de gérer le présent et d’évoluer en harmonie… Le Tao.
Et qu’est-ce que le Ba Zi ?
Le Bazi permet avant tout une meilleure connaissance de soi : « connais-toi toi-même, et tu connaitras l’univers et les Dieux».
Le Bazi, le Feng Shui et le Yi Jing sont les 3 arts métaphysiques principaux de la pensée taoïste.
Dans l’art du Bazi il est question d’identifier les forces en présence qui représentent notre potentiel dans cette vie.
Au moment de notre naissance, le premier souffle va s’inscrire dans une énergie annuelle, mensuelle, journalière et dans une heure sidérale.
La nature des branches célestes et des troncs terrestres de ces périodes va déterminer une prédisposition et une sensibilité particulière de notre énergie.
Ce « patrimoine statique » sera enrichi par les « grandes rencontres » par l’énergie annuelle, mensuelle, journalière et par l’heure sidérale de l’instant présent.
Grace à ces forces en présence nous pouvons identifier des facilités ou des difficultés d’expression des aspects Yin et Yang de nos 5 éléments.
Les Yun Qi qui sont une lecture mathématique à visée médicale de ces forces en présence serviront de base de travail en MTC.
Le développement du Bazi représente notre potentiel de vie théorique.
L’analyse du Bazi, du bilan énergétique et du symptôme énergétique et philosophique du patient permet au praticien une prise en charge globale du patient.
Dans ma pratique, le Bazi participe à l’éducation du patient dans la prise en charge quotidienne de sa santé tout comme dans l’identification des périodes et des dates déterminantes pour sa gestion.
Lorsque l’on identifie des situations de faiblesse, la pharmacopée permet de façon régulière, à des moments clés et dans des contextes particuliers, d’apporter à l’individu un carburant qui lui permettra de continuer à évoluer dans le meilleur équilibre possible.
De même, l’acupuncture à visée temporo spatiale sera d’une grande aide. Pour un même bilan énergétique, le Bazi peut donc servir de stratégie de base à un traitement de fond propre à chacun.
Quelle est la place de la MTC dans l’avenir ?
« La richesse est l’addition des différences, pas leur opposition »
La MTC me semble absolument complémentaire à la médecine occidentale.
Cette dernière (la médecine occidentale) est extrêmement compétente dans l’urgence et la crise où il est question de donner du répit à la nature en la remplaçant. La MTC quant à elle, excelle dans la gestion du « terrain ».
L’allopathie stoppe la crise, la pharmacopée traditionnelle restaure l’énergie, l’homéopathie guide la réaction du corps.
Les arts thérapeutiques de la MTC ainsi que sa vision globale de l’humain comme un tout dans un tout, permettent de conserver une vitalité optimale.
Je considère que pour des professions comme l’ostéopathie, la chiropraxie, la kinésithérapie la MTC et ses principes seront absolument incontournables dans les prochaines décennies.
Le Tuina est en passe de vivre une très grande évolution grâce à l’ostéopathie française qui fait le lien entre le crânien, le viscéral, l’ostéo articulaire et l’énergie.
Mais l’inverse est vrai aussi. Grâce à la MTC et à ses connaissances millénaires, l’ostéopathie française à la possibilité de prendre en compte des choses absolument inenvisageables avant.
La Moxibustion évolue vers une thermothérapie chaud/froid car aujourd’hui contrairement à hier, nous maitrisons la production de froid.
L’énergie froide bien utilisée, peut être libératrice de stases qui sont à l’origine de puissants maux physiques et émotionnels.
L’Acupuncture évolue car l’esprit des points s’enrichit en permanence et des applications nouvelles voient le jour (ou réapparaissent au grand jour) grâce au travail des Maîtres.
La diététique énergétique évolue grâce à la génétique et à la notion d’équilibre acido-basique.
Les ventouses sont de plus en plus utilisées dans les traitements physiques et esthétiques mais aussi dans la prise en charge des maux de la civilisation et du psychisme.
La pharmacopée me semble être une puissante clé du Tao de ce siècle.
L’utilisation de plantes adaptogènes et de formules magistrales communes pourrait prendre une dimension jusque-là peu envisagée en Occident…
