Après une formation scientifique et une forte expérience professionnelle en ingénierie aéronautique et recherche en physique, Laura Lègue, passionnée par la Médecine Traditionnelle Chinoise, pousse toujours plus loin son exploration de la MTC pour en comprendre tous les mécanismes. 

Vous avez un parcours atypique, comment en êtes-vous arrivée à pratiquer la MTC ?

Après avoir passé mon baccalauréat, deux options s’offraient à moi : me lancer dans des études de médecine occidentale ou bien des études scientifiques. A l’époque, je ne m’imaginais pas être médecin. Ce qui m’interpellait le plus, ce n’était pas le fait de pouvoir traiter une pathologie mais de comprendre pourquoi certaines personnes en faisaient trois ou quatre dans l’année ? Cette interrogation est un des fondements de la Médecine Traditionnelle Chinoise mais je l’ignorais. Très jeune, je me suis beaucoup plus intéressée au pourquoi qu’au comment des choses. Posture qui a conditionné mon existence jusqu’à maintenant.

Je pris, avec plaisir, l’option d’études scientifiques pour tenter de répondre, encore à une question que je me posais toute petite : comment les avions font-ils pour ne pas tomber lorsqu’ils volent ?

Pour avoir la réponse à cette question, j’ai commencé par une formation d’ingénieur aéronautique puis j’ai continué par faire de la recherche en physique théorique. Depuis, j’ai eu la réponse à ma question ! J’ai travaillé ensuite pour de grandes entreprises françaises importantes avant de partir aux Etats Unis. Mes fonctions impliquaient des responsabilités importantes et de très nombreux déplacements entre les Etats-Unis et l’Asie. Et là, j’ai commencé à avoir des soucis de santé. Etant basée à Paris, des réunions en visioconférence jusque plus de 21 heures le soir, à cause du décalage horaire avec les Etats Unis, puis d’autres à 4 et 5 heures du matin avec les pays d’Asie, ce qui me faisait une amplitude horaire de travail allant de 4 à 23 heures. J’ai commencé à me sentir très fatiguée, à avoir des soucis de sommeil, des douleurs, des migraines, etc.

Ces troubles sont apparus à un moment de ma vie où j’ai ressenti l’envie de faire « autre chose ». Même si je gagnais bien ma vie, je ressentais le besoin d’y mettre du sens. Or, durant mes différents voyages en Asie, j’ai évidemment rencontré la Médecine Traditionnelle Chinoise, les massages et la philosophie chinoise, tous omniprésents dans ces contrées.

Bien que je sois scientifique, mon approche était motivée par ce besoin de comprendre le monde et ses causes et surtout de rencontrer les gens. Le pourquoi plus que le comment. J’ai eu la chance de pouvoir faire, assez tôt, de nombreux voyages spirituels en Inde, en Afrique, en Asie et aux Etats-Unis et de rencontrer des personnes merveilleuses de premier rang qui chacune, par leurs paroles, leurs actions, leur sourire, un partage ou juste une petite phrase, m’ont donné une petite graine de vie que j’ai arrosée et que j’ai faite pousser petit à petit pour en arriver à décorer mon temple intérieur. Ces personnes qui ont croisé mon chemin, bien que très occupées, ont été à l’écoute, dans la bienveillance, dans l’humilité… la marque des Grands. Il me fallait changer de vie. A ce propos, Confucius a dit : « On commence à vivre la deuxième partie de sa vie lorsque l’on prend conscience que l’on n’en a qu’une ».

A un moment donné je me suis vraiment posée la question : « Et si on tournait une page ». Simplement, sans aucune angoisse, simplement se dire « et si on faisait autre chose, et si on pensait différemment, et si j’y mettais un autre sens ». Je me rappelle très bien de ce moment et du lieu où je me suis posée cette question. J’avais 40 ans.

Je me suis vraiment amusée, j’ai beaucoup voyagé, j’ai fait de nombreuses rencontres mais il fallait bien que cela prenne fin à un moment donné. C’est comme un bon gâteau, on peut vraiment l’apprécier mais il faut aussi savoir s’arrêter pour ne pas en faire une indigestion.

Suite à ces nombreuses rencontres, j’ai voulu mettre en pratique et développer davantage les qualités basées sur l’humanisme, la bienveillance, l’altruisme et la fraternité. Toutes ces qualités qui fondent notre humanité et que l’on a tendance, dans ces temps troublés, à trop oublier.

Il y a une quinzaine d’années, j’ai commencé à faire des études de Médecine Traditionnelle Chinoise en France et cela a été pour moi une vraie révélation et une vraie passion. Je me suis dit : « Voilà, je sais ce que je veux faire, je veux faire de la Médecine Traditionnelle Chinoise ». Le fait de m’occuper des autres m’apportait et surtout d’apprendre une approche, un outil, permettant d’expliquer les causes de nos maux. Voilà ce dont j’avais besoin.

J’ai eu la chance d’avoir un professeur formidable qui nous a appris et transmis sa passion de la MTC. Cette formation fut une base solide mais il m’a semblé important d’aller à la rencontre de d’autres maîtres, notamment au Vietnam, en Chine… et en France. 

J’ai travaillé, avec un ami, François, qui se reconnaitra, pendant environ cinq ans avec un maître vietnamien que nous rencontrions deux ou trois fois par mois. Nous allions passer une journée entière chez lui pour approfondir nos connaissances de la MTC. Entendre ce que l’on ne trouve pas dans les livres et qui est transmise de maître à disciple. Ce fut un grand privilège.

Ils nous posaient des questions évidentes auxquelles nous devions trouver les réponses. Par exemple, la nuit, pourquoi le ciel est noir ? Question simple, réponse complexe. Il aura fallu plus de 3000 ans à l’homme pour apporter une réponse correcte… La réponse n’a rien à voir avec la présence du soleil. Je vous laisse y répondre.

Puis je me suis faite rattraper par mes vieux démons et la recherche est revenue à moi. Une fois avoir acquis une certaine maîtrise des fondamentaux et d’autres techniques moins répandues, j’ai pensé qu’il était temps pour moi de me mettre au travail, de chercher par moi-même et d’apporter ma pierre à l’édifice.

Comment avez-vous apporté cette pierre ?

J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir et me poser des questions. J’ai pris du temps à réfléchir à ces fondamentaux que nos professeurs nous enseignaient.

Par exemple, j’ai commencé à m’interroger sur une des lois les plus connus de la MTC, à savoir la célèbre loi « midi-minuit », ce que l’on appelle le cycle nycthéméral (cycle du jour et de la nuit) qui précise que l’énergie nourricière (Rong) avance pendant 2 heures dans chaque méridien.

Comme il y a 12 méridiens dans le corps, l’énergie met donc 24 heures pour parcourir la longueur des 12 méridiens. Tous les praticiens de MTC savent cela. C’est une règle que l’on retrouve dans absolument tous les ouvrage de Médecine Traditionnelle Chinoise.

Cependant, celle-ci n’est pas complète et contient intrinsèquement une erreur fondamentale. Aujourd’hui, on dirait un bug. Il est écrit dans le 1er chapitre du Huangdi Nei Jing Ling Shu (黄帝内), grand classique de la MTC, que l’énergie avance dans tous les méridiens à la même vitesse.

Or tous les méridiens ne font pas la même longueur. Certains sont courts (cœur, poumon, etc.) d’autres moyens (foie, intestin grêle…) et d’autres encore plus longs (estomac, vessie…). En partant de ces constats, je me suis simplement posée la question, « Comment l’énergie nourricière peut-elle avancer, à la même vitesse, pendant deux heures dans chacun des douze méridiens alors qu’ils ne font pas tous la même longueur ? » Cela reviendrait à dire que l’on va parcourir la distance Paris / Bordeaux en 4h à 100 km/h et ensuite Paris / Marseille en 4h à 100km/h, c’est juste impossible. Pour les méridiens le problématique est la même. 

J’ai passé un an à trouver une réponse acceptable à cette question… parce que l’on ne se refait pas. On peut passer de la physique à la Médecine Traditionnelle Chinoise, mais on continue à chercher. J’ai enfin pu trouver la réponse à cette question qui se trouve dans mon ouvrage « Les cycles en médecine chinoise ou les secrets de la loi midi/minuit, Ed. You-Feng ». Le lecteur y trouvera également la réponse à douze autres aspects de la MTC restés à ce jour en suspens.

Cependant, pour répondre, simplement à cette question, vous trouverez dans cet ouvrage classique qu’est le Huangdi Nei Jing Suwen (黄帝内) la longueur des méridiens qui est donnée. Lorsque l’on évoque cela à un praticien de MTC, il va immédiatement penser aux trajets que l’on « voit » sur la surface du corps, mais il ne s’agit-là que des trajets superficiels. Tous les méridiens ont également un trajet profond, à l’intérieur du corps, et cela change tout (Ling Shu - Chap. 11).

Par exemple, le trajet du méridien du poumon commence à l’interne au niveau du foyer moyen (région de l’estomac), puis remonte pour émerger au 1 poumon et se terminer au 11 poumon, un peu comme une source ayant un trajet souterrain et émergeant à la surface.  Ce méridien, comme les onze autres, ont tous un trajet profond et superficiel. De fait, le méridien du poumon ne commence pas au 1 poumon ! Pour comprendre la circulation de cette énergie nourricière (Rong), nous ne pouvons pas faire l’économie de ces trajets profonds.

En conséquence, lorsque l’on dit que l’énergie nourricière passe « deux heures pour parcourir les méridiens », il faut entendre « deux heures pour parcourir le trajet profond plus le trajet superficiel ». En tenant compte de cette remarque essentielle, il suffit d’additionner le trajet profond plus le trajet superficiel, on se rend compte que les douze méridiens font la même longueur. Donc plus un méridien est petit en surface, plus son trajet est long en profondeur et plus il est long en surface, plus il est court en interne. 

Ainsi en additionnant les deux trajets, tous les méridiens font la même longueur et cela répond parfaitement à la question posée précédemment. 

De plus, cette loi midi-minuit, enseignée dans les écoles de MTC, ne fonctionne pas correctement dans tous les cas. Pour cela il est nécessaire de la modifier un peu pour tenir compte de cette circulation surface/profondeur. 

Cette petite modification permet qu’elle fonctionne parfaitement dans tous les cas. Cette loi midi-minuit enrichie commence à s’enseigner dans certaines écoles. Ce qui m’étonne toujours car je n’avais pas fait cette recherche dans ce but.

Une fois votre recherche terminée, quelle a été l’étape suivante ?

Je me suis appuyée sur les enseignements de mon premier professeur de MTC qui nous avait vraiment bien initiés à la théorie des troncs célestes et branches célestes. Je les ai développés, à la fois, avec les enseignements de nom maître Vietnamien et mon travail de recherche personnel en allant puiser dans de nombreux textes très anciens et peu connus. Notamment grâce à une amie, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de musique chinoise ancienne. Elle va régulièrement en Chine pour ses travaux de recherche et travaille, très souvent, sur des textes qui n’ont encore jamais été traduits. Parfois elle découvre des éléments intéressants, elle a alors la grande gentillesse de me les communiquer et de les traduire. Cela me permet d’avancer marche après marche. 

Pour vous donner une autre perspective, en plus du 2ème livre que j’ai écrit : « Traité didactique de pharmacopée climatique préventive en Médecine Traditionnelle Chinoise, Ed. You-Feng » qui a pu voir le jour grâce à l’aide du Professeur Yulin JIANG du Laboratoire JZ, que je remercie infiniment pour son aide et ses précieux conseils, du développement de deux logiciels de calcul de pharmacopée climatique préventive et de chrono-Acupuncture, je travaille sur trois nouveaux ouvrages de recherche en parallèle, dont un devrait être édité pour la fin de cette année. Je dois avouer que cela m’occupe un peu mais lorsque la passion vous porte…

J’essaie de comprendre, ou tout du moins d’apporter quelques éléments de compréhension.  Par exemple : comment l’Homme s’inscrit dans la nature et comment interagit-il ? Comment varie la course du soleil ? Comment et où se couche-t-il ? Comment se déplace la lune ? Quelles sont ses différentes phases et comment influencent-elles nos émotions ? Pourquoi les anciens textes chinois parlent de certaines planètes à des moments particuliers de l’année et comment nous influences-t ’elles ? Pourquoi, y a-t-il vingt-huit formes de pouls selon Wang Shu Ho ? Qu’est-ce que cela implique sur le comportement des personnes ? Pourquoi il y a cinq usages des voies Luo ? Pourquoi trois sur terre et deux au ciel ?

Vous l’aurez compris, les questions sont en nombre infini, les réponses encore plus.

Plus simplement, j’essaye de regarder la nature et tente de faire correspondre les états et les mouvements avec les grands principes de la Médecine Traditionnelle Chinoise. Par exemple, pour vivre sereinement, il faut vivre en harmonie avec la nature. Cela signifie vivre en harmonie avec les saisons. 

Pour le printemps, par exemple, il faudra s’assurer que le foie et la vésicule biliaire soient équilibrés et fonctionneront correctement. Dans ce cas, nous observerons un pouls tendu, preuve d’un état énergétique harmonieux, que tout va bien. Si ça n’est pas le cas, alors il y faudra adapter son mode de vie (nourriture, bouger, …) ou chercher une explication au-delà des saisons et des cinq mouvements.

Par exemple, s’agiter dans une salle de sport et courir sur un tapis en hiver, c’est une grosse erreur sur le plan énergétique. En hiver, on se doit économiser son énergie. On court au printemps ou en été, on marche à l’automne et on s’économise en hiver. En hiver vous êtes fatigué, vous partez en vacances faire du ski intensément pendant une semaine et à votre retour vous encore plus épuisé. Il est certain que peu de temps après vous risquerez des pathologies de vide de Rein, des burn-out, etc. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire.

Ça ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire de ski, simplement, il faut alterner, un jour de ski, un jour de hammam par exemple ou se reposer. Ce qu’il faut c’est trouver un équilibre.

Dans nos pays occidentaux, nous voulons toujours plus, alors qu’en réalité le bonheur ça n’est pas compliqué, c’est juste vivre sagement. C’est à portée de mains.

Comment conciliez-vous vos recherches avec vos patients ?

Je partage mon temps entre mes patients et mes livres. J’utilise la MTC jusqu’au fin fond de ce qui m’est accessible pour le plus grand bonheur de mes patients. Les résultats sont souvent au rendez-vous.

Je suis constamment émerveillée de la puissance de cette médecine basée sur l’observation et surtout sur le fait que les anciens chinois ont fait un pari fou, il y a 3 000 ans, que l’on pourrait résumer ainsi selon Hermès Trismégiste :
« ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, par ces choses se font les miracles d’une seule chose ». C’est-à-dire d’oser faire le pari que les lois du cosmos s’appliquent dans le corps, que les lois de la nature s’appliquent dans le fonctionnement du corps, dans sa physiologie et son anatomie. C’était un pari extrêmement audacieux.

Ce qu’il y a de plus fou encore… Ça fonctionne ! Cette approche montre son efficacité tous les jours. 

La Médecine Traditionnelle Chinoise que je pratique avec mes patients consiste, bien-sûr, à les soulager mais le but est surtout qu’après quelques séances, ils reviennent me voir en me disant « je vais mieux ».

Ils ont vraiment gagné lorsqu’ils prennent conscience qu’ils devaient également se prendre en charge eux-mêmes et ne pas seulement se reposer que sur une aide extérieure.

Pour nous, les occidentaux, c’est difficile de se prendre en charge car tout nous invite à aller voir le médecin et prendre des traitements sans jamais nous remettre en question sur notre façon de vivre, nos habitudes alimentaires, nos comportements, nos émotions.

Cela a toujours été pour moi un étonnement sans limite de voir que la grande majorité des personnes prennent plus soin de leurs voitures, lorsqu’il y a une moindre rayure la voiture est immédiatement envoyée chez le garagiste, que de leur santé et leur corps.

Puis, un jour, il nous arrive un évènement grave et on se dit, avec recul, que cela fait déjà un moment que notre corps nous envoie des messages que nous n’avons pas écouté toujours pour de bonnes raisons.

Lorsque ce sont de « petites choses », la vie est permissive mais plus on attend et plus les signaux sont importants jusqu’à ce qu’un évènement plus grave qui ne nous permette plus de les ignorer, en plus de consulter son médecin, pourquoi ne pas réfléchir à modifier quelque peu nos habitudes ? Pourquoi ne pas se mettre au QI Gong, faire un peu plus attention à son alimentation, faire un peu de vélo ou marcher un peu plus ? 

A ce propos, un sage a dit un jour « Ce qui me surprend le plus dans l’humanité ? les hommes… Parce qu’ils perdent leur santé pour accumuler de l’argent, ensuite, ils perdent leur argent pour recouvrer la santé. Ils se perdent dans d’anxieuses pensées sur le futur au point de ne plus vivre ni le présent ni le futur. Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir… et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. »

Pour revenir à votre question précédente, grâce à l’approche des six énergies où l’on décompose l’année en six parties de deux mois environs, associé à la chrono-acupuncture, il est possible d’aider son prochain à retrouver son centre et à réinstaller du sens dans son existence.

Dans la vie il y a deux choses, il y a l’être et le paraitre : il y a qui je suis vraiment et puis il y a celui que je veux montrer aux autres. Lorsque l’on réussit à réduire cette distance entre l’être et le paraitre, alors on est de plus en plus nous-même. La souffrance pourrait être cette distance que je mets entre l’être et le paraitre. La souffrance c’est l’énergie que l’on met à être ce que l’on n’est pas.

Une des grandes forces de la Médecine Traditionnelle Chinoise, c’est qu’elle nous permet de réduire cette distance pour finalement, au maximum faire coïncider ces deux états. L’objectif n’est pas de plaire à tout le monde mais d’être en accord avec soi-même car quel que soit l’image que l’on voudra faire paraître, il est impossible de plaire à tout le monde alors… autant être soi-même.

En ce sens, la MTC ne permet pas seulement de revenir à la racine d’un syndrome mais davantage de retrouver qui nous sommes vraiment et pour cela nous avons toute la vie.