Jacques KOPFERSCHMITT est spécialiste en Médecine Interne, et s’est orienté vers la médecine aigüe telle que la réanimation, les urgences en tant que responsable du pôle Urgences du CHU de Strasbourg.
Professeur émérite de Thérapeutique à l’Université de Strasbourg, il travaille avec la Pharmacologie Universitaire dans son enseignement d’une approche thérapeutique globaliste. Il est notamment le Fondateur d’ATCHUS (Association des Thérapies Complémentaires des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg) et fondateur du CUMIC (Collège Universitaire de Médecines Intégratives et Complémentaires) qui regroupe tout l’enseignement Universitaire des thérapies complémentaires en France et qui défend le point de vue d’une vision intégrative, c’est-à-dire l’association de la Médecine occidentale avec d’autres thérapies validées.
Qu’est-ce qu’une thérapie complémentaire ?
J’ai travaillé avec des méthodologistes notamment de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) sur des bonnes définitions de ce que l’on appelle des Thérapies Complémentaires, car il y a souvent des confusions. L’apport de l’Académie de Médecine a été essentiel.
La méprise dans le monde médical est de croire que ces thérapies sont en opposition. Les patients croient savoir, et les professionnels de santé en savent peu. Il faut donc trouver un compromis entre les deux pour avoir une pédagogie universelle des termes et des définitions.
Les médias les qualifient de Médecines douces ou de Médecine alternatives, ce qui est presque dangereux car on trompe l’utilisateur. On ne traite pas de manière « alternative » un cancer. Le terme de thérapie « Complémentaire » est donc très bien car c’est une thérapie qui va aider le patient en plus de la thérapie conventionnelle.
On entre ici dans la définition de la médecine « Intégrative » qui est la définition Nord-Américaine qui existe depuis 20 ans et qui est déjà largement utilisée.
Il s’agit donc d’intégrer ces thérapies dans des soins et donc de les apprendre à des disciplines médicales qui en sont parfois loin.
Le but est de savoir ce qui est validable, ce qui peut être intéressant pour proposer la meilleure qualité de soin possible et qui est l’objectif principal, et ensuite rendre les soins plus efficients pour rendre la médecine actuelle plus pertinente, plus confortable et plus efficiente.
Les choses évoluent car il y a aujourd’hui des disciplines qui ont compris les bénéfices possibles, notamment dans la cardiologie, la gastro-entérologie, la psychiatrie.
On commence à comprendre qu’il existe encore des coins d’ombre en médecine occidentale qu’il faut essayer d’éclaircir autrement.
Quelle thérapie complémentaire semble la plus intéressante ?
C’est une question complexe car il en existe un large panel. Pourtant en France nous avons un choix assez restreint avec les médecines manuelles, l’homéopathie, les médecines historiques telles que la Médecine traditionnelle Chinoise et le Médecine Ayurvédique qui ont une place importante.
Je connais bien le sujet de la Médecine Traditionnelle Chinoise et de sa rigueur puisque depuis 1986 j’ai coordonné le Diplôme inter-Universitaire d’Acupuncture.
J’ai rencontré cette pratique lorsque j’étais en réanimation car il y avait certains points pour lesquels nous n’avions pas de réponse : la douleur, le stress, certaines infections respiratoires, etc. Avec mon maître de l’époque nous avons établi des relations privilégiées avec l’hôpital de Shanghai.
Pour moi il est très intéressant pour l’évolution de la médecine de s’ouvrir à d’autres cultures et de voir que dans d’autres parties de notre planète on a pu, pendant des décennies et bien plus encore, soigner des milliers, voire des millions de personnes grâce à d’autres médecines à une époque où nous n’avions pas encore la médecine occidentale. C’est valable pour l’Orient, mais également en Amérique centrale et Amérique du Sud ainsi qu’en Afrique avec des cultures très particulières.
Cet aspect transculturel me parait très important dans la médecine. La médecine intégrative c’est ça : prendre le meilleur de ce qui existe en thérapies validées à travers le monde et en faire bénéficier le plus grand nombre. C’est la mondialisation réussie, d’une certaine manière.
On trouve également dans les thérapies complémentaires toutes les thérapies cognitivo- comportementales (TCC) qui jouent sur le mental et un certain nombre d’autre choses. On connait notamment la méditation pleine conscience qui est très intéressante et que l’on a beaucoup développée au CHU de Strasbourg. Elle permet de canaliser le stress principalement.
L’avantage de la méditation est qu’elle a pu bénéficier du développement de la recherche en imagerie cérébrale. En apportant des « preuves » en image on retrouve les grands classiques de la validation médicale de l’Evidence Based Medicine.
Certes la validation des thérapies complémentaires est importante et la méthode de validation est essentielle et novatrice. On ne peut pas appliquer uniquement à une thérapie complémentaire les mêmes méthodes de validation que l’on applique à une médecine conventionnelle car le contexte est différent : l’évaluation quantitative est complétée par l’évaluation qualitative La médecine ne peut pas rester cloisonnée dans son univers. Il faut aussi tenir compte de la sociologie, de toutes les sciences humaines qui l’entourent et la globalité du contexte.
C’est l’aspect séduisant de la Médecine Traditionnelle Chinoise qui tient compte du contexte qui est fondamental.
Lorsqu’il est question de ressenti du patient, lorsqu’il « se sent mieux » on parle de qualitatif et non de quantitatif.
Or aujourd’hui le terme de « Bien-être » est considéré comme superflu, ce n’est pas du soin. Il n’y a pas de cours de médecine où on parle de ressenti du malade, s’il vit mieux, s’il travaille mieux, etc., il n’y est question que de guérison, certes indispensable mais le soin dans son ensemble c’est bien plus.
Prenons l’exemple du sommeil : il ne s’agit pas d’une « vraie » maladie. Pourtant le manque de sommeil aura une incidence sur la vie quotidienne des gens, sur leur travail et sur leur état de santé général mais il n’est pas raisonnable de se cantonner à des psychotropes souvent riches en effets indésirables.
Il en est de même pour toutes les maladies chroniques, le diabète, l’hypertension, etc. Ces maladies prennent de l’ampleur et peuvent bénéficier de cette vision intégrative.
Prenons l’exemple de l’auriculothérapie. Elle s’est développée à partir de l’école Lyonnaise de Nogier et est assez proche de la MTC. On a grâce à la stimulation de l’oreille des éléments de résultats assez rapides et intéressants notamment en rhumatologie sur la douleur. On commence à connaitre les mécanismes physiologiques mais le corps médical l’ignore. À nouveau l’information objective et validée est essentielle et devrait être mieux diffusée
En Allemagne, on trouve des « praticiens de santé » (Heilpraktiker) qui complètent la médecine. Ce ne sont pas les médecins qui s’occupent de ces thérapies. L’inconvénient c’est que pour pouvoir aider quelqu’un il faut avoir la maitrise du diagnostic et ce n’est pas le cas chez les praticiens de santé. Donc cette approche intégrative n’est possible que si elle est pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle.
Validées et sécurisées, les thérapies complémentaires ont un avenir certain.
Pourquoi les thérapies complémentaires ne sont-elles pas plus rependues ?
Certains diront par exemple que l’efficacité des compléments alimentaires n’est pas prouvée et parleront d’effet placebo. Il faut distinguer « effet placebo » et « placebo ».
Les thérapies complémentaires peuvent avoir un effet placebo mais 30 % des médicaments en ont un également. Il ne doit pas y avoir que l’effet placebo comme explication. Nous manquons de données sur les effets spécifiques de nombreuses thérapies. Voilà un phénomène bloquant et compréhensible pour le monde de la recherche médicale.
Ce qui m’intéresse en premier lieu ce n’est pas de savoir « comment » cela fonctionne mais s’il y a une efficacité clinique, et surtout s’il y a une efficience dans son sens global.
Les détracteurs diront qu’il n’y a pas d’efficacité car il n’a a pas de preuve tangible. Mais le malade se sent-il mieux ? Oui. Alors c’est le résultat clinique, mais ce n’est pas suffisant. Tout plaide pour encourager la recherche dans un champ élargi.
Il n’est pas question de rejeter le médicament, au contraire. Il faut pouvoir guider les patients dans les bons choix. Malheureusement le public est encore trop souvent livré à lui-même. Les thérapies complémentaires devraient être conseillées dès le début et non pas en dernier recours.
Les thérapies complémentaires n’ont souvent pas pour vocation de « traiter » la maladie mais ont pour but l’amélioration du quotidien. L’exemple le plus validé est le cancer. Ce qu’on appelle les soins de support sont des soins complémentaires à la chimiothérapie, à l’évolution du cancer et/ou après le cancer. C’est admis et même fortement recommandé.
Le Ministère de la Santé lui-même a fait une recommandation en disant que les thérapies complémentaires étaient un soutien nécessaire dans les soins de maladies chroniques.
Prenons l’exemple de la psychiatrie : la psychothérapie a eu du mal à être validée. Sa validation par le corps médical n’est que très récente et elle n’est pas complète. C’est une thérapie complémentaire.
Vous pensez donc que mes médecines complémentaires ont leur place dans un protocole de soin ?
Ce que je défends c’est une médecine qui va dans le sens de l’Homme, l’importance de la qualité des soins et le respect du patient qui est très demandeur.
Il est dangereux que les médecins restent opposés aux thérapies complémentaires car les patients cherchent par eux-mêmes sans être correctement guidés.
Il ne s’agit pas uniquement d’être dans la modernité qui n’est pas toujours la réponse à tous les maux de notre planète. La médecine occidentale sera bien-sûr utilisée pour toutes les maladies aigues mais en ce qui concerne les maladies chroniques la place est immense.
Par exemple l’aromathérapie est l’une des techniques complémentaires les plus efficientes mais à hauts risques si elle est mal maitrisée. Il y a une puissance thérapeutique manifeste mais elle est peu défendue car mal connue, et reste souvent limitée au bien-être. À nouveau la diffusion de la connaissance des approches thérapeutiques préventives et curatives est essentielle.
Il y a un grand manque d’homogénéité européenne dans le domaine de la santé.
Lorsque l’on est à Strasbourg, on ne peut pas ignorer les techniques de médecines d’origine germanique qui ont une stratégie intégrative beaucoup plus forte que la nôtre ; on peut voir en Toscane un mélange de thérapies à l’intérieur même des Hôpitaux ; la médecine intégrative est déjà présente en Suisse depuis de nombreuses années. Pourtant en France on ne regarde pas ce qui se passe dans le reste de l’Europe. Ce retard doit être comblé devant la complexité croissante des maladies.
Comment permettre aux médecins de s’ouvrir aux médecines complémentaires ?
On a un enseignement qui prend lentement de l’ampleur.
Cela fait une dizaine d’années que les étudiants en médecine qui sont volontaires ont la possibilité d’avoir une formation de base dans un certain nombre de thérapies complémentaires telles que la MTC, l’hypnose, l’homéopathie, la phytothérapie, l’aromathérapie, la méditation, etc.
Contrairement à ce que l’on peut croire, les étudiants sont très intéressés par ces thérapies. Ils découvrent des pratiques qu’ils ne connaissaient pas. La curiosité scientifique est un premier pas.
Lorsque les étudiants arrivent en première année de médecine, ils ne connaissent encore rien et lorsque l’on voit leur appétence de connaissance, c’est dommage de ne pas leur en parler. Bien sûr il n’est pas question de leur parler de choses illusoires et leur expliquer ces thérapies va compléter la médecine conventionnelle. Et il est important que les formations soient de qualité, donc certifiées. L’Université a un rôle important.
Efficacité, sécurité et formation.
La connaissance est nécessaire avant de pouvoir juger. Si on ne connait pas la pratique, nous ne sommes pas en droit de critiquer.
En médecine c’est un combat de tous les jours car on rencontre souvent des réfractaires à des thérapies complémentaires qu’ils ne connaissent pas.
Aujourd’hui la formation des médecins sur les plantes par exemple est inexistante. À moins de s’y intéresser à titre personnel, les médecins n’ont aucune connaissance des plantes.
La faculté de pharmacie garde encore un enseignement mais minimaliste à mon avis. On est dans une formation initiale du « tout médicament ».
Il est décevant que la période de COVID que nous traversons n’ait pas permis de s’interroger sur le moyen d’aider les patients en plus de la maladie et comment améliorer le terrain ? Nous sommes dans une période où il faut avoir un certain courage scientifique. Dans notre médecine il manque un peu de cette vision humaniste du patient.
Lorsque l’on parle de « prendre le meilleur des deux » entre la médecine conventionnelle et les médecines complémentaires, il y a aussi un facteur économique en jeu. Malheureusement les thérapies complémentaires sont un peu antisociales car elles impliquent un certain pouvoir d’achat. Il y a des gens qui ne peuvent pas y avoir accès car elles ont un coût.
Il faut trouver le compromis pour faire des économies de santé par une approche scientifique de l’efficience mais également de la pertinence économique : grâce aux thérapies complémentaires prises en amont, je fais par la suite l’économie de moyen médicamenteux, d’hospitalisations, de consultations, etc. Mais il n’y a presque pas de travaux de recherche dans ce sens.
L’efficience, c’est la manière dont le patient peut bénéficier d’un soin particulier dans la situation où ils se trouve, des circonstances particulières, et avec le terrain donné.
Les thérapies complémentaires peuvent apporter beaucoup mais leur validation vient malheureusement souvent un peu plus tard, faute de recherche.
Il faut encourager cette vision intégrative avec la rigueur et toute l’ouverture digne de la science.