Le Professeur ZHU est professeur de l’Université de Médecine Traditionnelle Chinoise du Yunnan ainsi que Professeur dirigeante de Doctorat à l’Université de Beijing. Également Professeur à l’Université de Médecine Occidentale de Kunming, le Professeur ZHU est une spécialiste reconnue de la Médecine Traditionnelle Chinoise qui travaille régulièrement en collaboration avec des spécialistes de médecine occidentale dans plusieurs hôpitaux en Chine et en France.

Pour elle, la Médecine Traditionnelle Chinoise n’est pas seulement une technique à part, elle est enracinée dans la Culture chinoise.

Professeur, parlez-nous un peu de vous. Quel est votre parcours ?

En 1978, j’ai passé un premier concours dans ma province, puis j’ai été sélectionnée pour passer un deuxième concours à Beijing. Grâce à ces deux concours, j’ai pu accéder à des études auprès de mon Maître, le Professeur REN Yingqiu qui était originaire de Sichun, une province très proche de la mienne.

Dès l’âge de 4 ans, son père lui a fait suivre une formation dans une école privée pour y apprendre les grands classiques de la culture chinoise. C’était une méthode très ancienne où les enfants devaient apprendre par cœur les 13 grands classiques qui constituent le noyau central de la culture chinoise. À l’âge de 15 ans mon Maître les connaissait tous par cœur.

Il a ensuite suivi un médecin très connu jusqu’à l’âge de 25 ans. Cela lui a permis d’avoir non seulement une base culturelle, mais également une expérience pratique de la Médecine Traditionnelle  Chinoise.

Puis il a rejoint Shanghai, où il a participé à des réunions de grandes figures de la Médecine Traditionnelle Chinoise qui se réunissaient pour protéger la MTC face au gouvernement de l’époque qui souhaitait la voir disparaitre.

Malgré son très jeune âge, il a su se faire une place auprès de ses pairs et être reconnu dans la profession grâce à ses très grandes connaissances des classiques et de leurs subtilités.

Il a ensuite voué sa vie à l’enseignement et à la diffusion de la MTC. 

En 1956, il a été sélectionné pour fonder l’Université de Médecine Traditionnelle Chinoise de Beijing.

Ma formation auprès de lui a changé la vision que j’avais de la MTC.

Il a constitué des groupes et nous a demandé de couper en morceaux le Huangdi Neijing, premier livre classique de la Médecine Traditionnelle Chinoise.

Puis il nous a fallu le recoller en fonction des mots, par exemple le cœur: dans combien de chapitre apparait-il, de quoi cela parle etc. A l’époque il n’y avait pas d’ordinateur, ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui. Il nous a fallu 2 ans pour terminer.

Il nous a demandé d’étudier le Wuyun Liuqi, la Médecine Traditionnelle Chinoise Climatique. Dans son cours il nous a montré le Ziwu Liuzhu. C’est de là que je tiens ma méthode d’Acupuncture Temps Point Espace (ATAS). 

Ce sont des graines de connaissance que j’ai ramenées en France avant de suivre mon Doctorat de Sciences Humaines, option santé, avec le Professeur ATTALI, grand spécialiste du diabète, auprès de qui j’ai rédigé ma thèse « Intérêt de la Médecine Traditionnelle Chinoise dans l’approche du diabète sucré ».

Cette façon de procéder m’a ramené aux racines de la MTC. Et je pense que c’est très important. 

Aujourd’hui vous enseignez. Vous servez vous de ce précepte d’enseignement ?

La pensée chinoise n’est pas seulement une notion philosophique mais elle transparaît dans tous les aspects de la culture chinoise.

C’est pour cette raison que j’ai mis en place un cours de caractères chinois. 

Je dis souvent que l’écriture occidentale comprend 26 lettres arrondies qui se combinent alors que l’écriture chinoise est carrée. L’écriture occidentale est ronde mais la pensée est carrée. L’écriture chinoise est carrée mais la pensée est ronde, tout est relié. 

Je montre par les caractères chinois la différence de pensée qui existe entre la Médecine Traditionnelle Chinoise et la médecine occidentale. 

J’enseigne la Médecine Traditionnelle Chinoise depuis 1990 à la Faculté de Médecine Léonard de Vinci et, en 1997, nous y avons créé le Diplôme de MTC, DUMETRAC.

J’ai eu la grande chance que les Professeurs ATTALI et MATARASSO m’accordent une importante liberté pour concevoir mon propre programme de formation. 

Je me suis alors demandée ce que j’avais reçu de mon Maître durant ma formation. Et en premier lieu nous avons étudié ce qu’était le Ciel.

En MTC on dit que l’Homme correspond au Ciel. Mais qu’est-ce que le Ciel ? Et comment ? 

On en fait abstraction dans la formation moderne, même en Chine. Il faut retrouver les racines de la MTC. Il faut donc d’abord parler du Ciel avant de parler de l’Homme. 

Ensuite il faut voir : qu’est-ce que le corps humain ? C’est là qu’est la différence entre la Médecine Occidentale et la Médecine Orientale.

En occident, on étudie l’Homme allongé, coupé en morceau, c’est l’anatomie. Ensuite seulement on relie toutes les parties du corps ensemble. 

En MTC on étudie l’Homme debout, vivant, en liaison avec le Ciel et la Terre.

Mais comment expliquer tout cela aux médecins français ? Par la pratique Corps / Esprit. Si on n’a pas la connaissance du corps humain vu par la MTC, on se perd et ce sont les études de laboratoire sur les rats qui vont nous guider.

Mais comment transposer le corps d’un rat avec celui d’un Homme ? Le rat n’est pas debout. A-t-il des méridiens ? 

Comment permettre aux médecins français d’aborder cette approche alors qu’ils ont déjà une autre connaissance du corps?

J’ai créé une méthode :  Zangqi fashi gong. C’est le titre du chapitre 22 de Huangdi Neijing. 

L’énergie des organes qui respecte le temps et l’espace, c’est la pratique de Dao Yin, une méthode très ancienne. Debout, respirer, méditer, faire des mouvements, de la marche, pour sentir ce qu’est réellement l’énergie. 

Lorsque l’on parle du Cœur, il ne s’agit pas seulement du cœur physique. C’est aussi l’Été, le Feu, le Sud, le Rouge, la Clarté de l’Homme, la Chaleur, tout cela combiné à différents organes.

C’est une notion très compliquée pour les médecins français. 

Dans beaucoup d’enseignement en dehors de la Chine, on a pris des éléments de la Chine en faux. Je me bats pour respecter mon Maître et la Culture Chinoise. 

L’enseignement doit être enraciné sur une base culturelle solide.

Bien sûr il faut avoir une technique, mais le plus important est d’avoir une culture très solide et très profonde. J’ai rapporté cette façon de faire en Chine et cela les a étonnés.  Ils ne connaissent plus Bagua, ni Hetu ou Luoshu. Ils appliquent mal Wuxing (5 agents) et Yin / Yang. Ils sont coupés des racines de ce genre de théorie. 

Les racines culturelles chinoises peuvent-elles être transposées en France ?

Lorsque l’on est médecin chinois et que l’on sort de Chine, ce n’est plus du tout la même chose. Ce n’est pas la même langue, ce n’est pas le même Homme, ce n’est pas la même nourriture ni les mêmes relations humaines. La société est complétement différente. 

Or, dans les grands principes de MTC on dit qu’il faut s’adapter aux changements de temps, de lieu, d’Homme, de situation …. 

Je dis toujours que Huangdi ne parlait pas français, il n’a jamais voyagé en France. 

Pour un même nom de maladie, il y aura des manifestations et des symptômes différents. Les manifestations et les comportements des patients atteints de diabète de type 2 ou de type 1 sont très différents de ceux des patients en Chine. 

Nous avons beaucoup perdu dans notre pratique de l’Acupuncture. On travaille sur les méridiens et lorsque je demande sur quoi est basée l’efficacité de l’Acupuncture, beaucoup de gens répondront « le point ».

Mais le méridien et le point servent à quoi ?

C’est le passage, la circulation de l’énergie Céleste qui traverse le corps humain en liaison avec l’énergie Terrestre.

Ce n’est pas visible ni anatomique. Le point n’est que le lieu le plus sensible, le plus concentré de ce passage énergétique.

Beaucoup de gens me demandent de leur indiquer un point secret, mais il n’y en a pas.

C’est la totalité qui est importante. En ce sens, les notions de temps et d’espace sont des notions centrales de l’Acupuncture. Parce qu’on relie le Ciel et la Terre, le temps qui circule, l’espace est changé donc l’énergie est changée. 

Il faut suivre ce changement pour adapter le traitement du patient.

J’ai donc mis au point plusieurs méthodes d’Acupuncture Shikong Zhenjiu, ATAS, c’est-à-dire choisir le point qui est sensible au temps (le point du temps) et y associer une série de points basés sur le même principe et liés à la pathologie (les points de l’espace).

Les 4 méthodes les plus importantes sont très connues, elles respectent le noyau central de l’Acupuncture, le temps et l’espace.

Les méridiens et les points sont des passages de l’énergie du Ciel et de la Terre en traversant le corps humain.

Pour saisir cette sensibilité des points, les chinois font des calculs compliqués. J’ai approfondi les études de ces calculs pour créer la méthode ATAS.

Cette méthode a-t-elle fait ses preuves ?

Afin d’en vérifier l’efficacité, une étude clinique sur le cancer du sein est menée dans l’Hôpital de la province de Yunnan. C’est un Hôpital spécialisé en cancérologie. 

Un médecin se doit de répondre aux besoins de son époque. Chez la femme, le premier mal en cancérologie est le cancer du sein, chez l’homme c’est le poumon puis la prostate. 

J’ai eu la chance d’avoir l’aide de l’ambassade de la Chine en recherche scientifique et technique pour démarrer la recherche dans cet hôpital qui compte 2600 lits uniquement destinés au cancer. 

Le protocole a été élaboré entre les équipes chinoises et les équipes françaises et notamment avec la participation de spécialistes de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif (qui est l’hôpital européen spécialisé dans le cancer) de l’Institut Curie, de l’INSERM, ainsi que d’un spécialiste en immunologie.

Tous ensemble avec les médecins chinois de l’hôpital, ils ont élaboré le protocole. Celui-ci contient différentes phases. La première phase pilote s’est terminé l’année dernière et a compté 40 patients. 

La mise en place de ce protocole s’est faite très rapidement. En moins d’un an nous avons touché près de 250 personnes pour sélectionner ces 40 patients.

On ne va pas seulement vérifier l’efficacité de la méthode ATAS, mais étudier également le changement d’une série de marqueurs immunologiques. Cette analyse est prise en charge par l’Institut Pasteur à Shanghai.

L’Acupuncture Traditionnelle Chi- noise doit se confronter aux méthodes d’évaluation de la médecine occidentale moderne.

Mais ces méthodes d’évaluation ne doivent pas dénaturer l’Acupuncture. En particulier, la personnalisation des soins d’Acupuncture pour chaque patient ne doit pas être effacée dans des protocoles par nature standardisés.

Dans cet essai, la séance d’Acupuncture se déroule comme une consultation normale dans un cabinet d’Acupuncture. Examen du patient : questions, pouls, langue, symptômes. Un diagnostic est posé, et le traitement effectué est choisi parmi une liste de sept prescriptions qui ont étés conçues en rapport avec le problème étudié.

Cette notion de prescription d’Acupuncture est le compromis entre un protocole totalement rigide et une liberté totale dans les soins d’Acupuncture. Cette notion est importante, car elle permet, à l’issue de l’essai clinique, d’avoir un protocole de soins d’Acupuncture qui respecte les fondements de la Médecine Traditionnelle Chinoise.

La graine de la culture chinoise est venue en France et, en retour, une nouvelle graine est replantée dans mon pays natal.